Cette petite biographie est extraite du Dictionnaire Biographique des Hommes de l'Est par Henry CARNOY.
JEANDET Jean-Pierre Abel né le 17 septembre 1816 à Verdun-sur-le-Doubs ( Saône-et-Loire), homme de lettres, médecin, membre de plusieurs sociétés savantes.
M. Abel Jeandet fit ses premières études de médecine à Dijon et les mena de front avec de patientes recherches entreprises sur sa ville natale aux archives du département. Il était filleul du savant orientaliste Abel Rémusat, dont la mort prématurée fut un malheur pour lui. (Jean-Pierre Abel-Rémusat, né le 5 septembre 1788 à Paris où il est mort du choléra le 2 juin 1832, est un sinologue et bibliothécaire français.) Bien différente aurait été sa destinée, désormais limitée à l'horizon étroit de la vie provinciale, si cet appui ne lui eût manqué au seuil de sa vie laborieuse.
Bachelier èslettres et ès sciences, il fit ses études médicales à Dijon et à Paris, fut attaché comme externe à l'hôpital de la Salpêtrière et prit le grade de docteur en 1851. Dès longtemps il avait fait de nombreuses incursions dans le domaine des idées religieuses, politiques et sociales; aussi salua-t-il avec joie l'avènement de la République en 1848. Membre des bureaux, délégué et vice-président des comités électoraux du XII° arrondissement de Paris, il fut désigné, par la démocratie parisienne, au choix des électeurs de son département. Sa candidature à la Constituante n'eut qu'un demi-succès, et celle pour la législative posée trop tard, fut retirée par lui. Désabusé, d'ailleurs, de la vie publique par les excès, les faiblesses et les apostasies de son entourage politique, il rentra dans son pays natal après le coup d'état et partagea avec son père, ancien chirurgien des armées, ancien maire de Verdun et médecin distingué, les fatigues de sa délicate profession. Le conseil municipal de Verdun leur vota à tous deux des remerciments pour leur courageuse conduite pendant l'épidémie cholérique de 1854. A la mort de son père, en 1860, il lui succéda dans diverses fonctions gratuites et charitables. Il présenta au conseil municipal, en 1861, un mémoire relatif à la fondation, dans la petite ville de Verdu-sur-le-Doubs, d'une bibliothèque populaire et d'un musée d'histoir locale , appuyé de l'offre gratuite de sa propre bibliothèque et de ses précieuses collections bourguignones, fruits de vingt ans de recherches et de soins. IOl est parlé avec éloge de cette proposition généreuse et démocratique dans les Annales du bibliophile de Louis Lacour( 1862 ) et dans le Journal des connaissances médicales du docteur Caffe ( 1862 ) . M. Abel Jeandet a été nommé médeci cantonal, pour le taritement gratuit des indigents, en 1860. Elu vice-président de la société de secours mutuels de Verdun, puis conseiller municipal, il eut à remplir, comme adjoint, les fonctions de maire, et fut nommé maire en 1871. Pendant le rude hiver de 1870-1871, il transforma sa maison en ambulance, pour y soigner les blessés et les malades de nos armées de la Loire et des Vosges. En 1870, on lui offrit de poser sa candidature à la députation et au conseil général; mais il refusa en ces termes : " Fatigué par vingt années de luttes incessantes que j'ai soutenues sans succés pour l'avénement pacifique des vrais principes républicains, je me sens fléchir sous les coups du sort qui accablent notre malheureuse et coupable patrie. Certes ma foi n'est pas éteinte, mais mes forces sont épuisées; mon âme est tristejusqu'à la mort. Placé entre le chaos du passé et l'obscurité de l'avenir, je médite et j'étudie de nouveau, au milieu de l'anarchie dissolvante du présent, les questions politiques et sociales que je croyaais avoir résolues dans ma jeunesse."
La réputation du laborieux travailleur s'était répandue, et le 1° avril 1873, il était nommé conservateur des archives historiques de la ville de Lyon. Ce fut une grande mais courte joie pour M. Jeandet; cinq mois plus tard, pour des raisons que nous n'avons pas à apprécier, cet emploi était supprimé par arrêté préfectoral. M. Jeandet dut donc rentre à Verdun.
L'approbation générale qu'
avait reçue la nomination de M. Jeandet au poste de conservateur des archives historiques de la ville de Lyon fait pressentir les sympathies que sa brutale destitution lui valurent. Les témoignages qu'il reçut en cette occasion fournissent pour sa biographie, des pages touchantes. Nous ne pouvons résister au désir d'en reproduire ici au moins deux comme un pieux hommage que nous aimons à rendre à la mémoire de ses amis :
"Chateu de Cissey, 5 septembre 1873.
Bien cher compatriote et ami,
j'arrive d'un long voyage en Savoie... j'ouvre votre lettre et j'y trouve l'affreuse nouvelle qui me désespère. Notre chagrin est réel, croyez-le... Dois-je vous dire que ma dernière visite à Lyon a été pour vous et que M. N. m'avait promis très positivement votre conservation... Je croyais qu'il avait plus qu'il ne fallait pour ne pas laisser commettre un tel acte de barbarie... Je crois que Ducros ne doit faire qu'à sa tête; c'est une barre de fer... Si je savais pouvoir obtenir le retrait de la mesure, je me mettrais en cent pour cela...
A vous de coeur, à la vie et à la mort Louis de Cissey "
autre témoignage :
" Paris, 9 septembre 1873.
Eh ! quoi ! mon brave confrère, on vous a brutalement destitué, sans tenir compte de votre passé, de vos tarvaux, de votre notoriété ! Ce serait à n'y pas croire, si tout n'était possible avec ces gens là... mais votre philosophie prendra le dessus. Je vais voir votre fils; je vais le consoler; ne doutez pas de la sympathie que vous et votre fils méritez à tant de titres. A vous de tout coeur, Dr Achille Chereau, lauréat de l'académie de médecine, Chevalier de la légion d'honneur."
Le préfet Ducros, en traitant Abel Jeandet comme un employé subalterne auquel on donne son congé, avait commis une faute grossière et une grande injustice. C'est ce que Jeandet lui prouva dans une protestation très sérieuse et nourries de faits qu'il publia sous ce titre : Cinq mois aux archives de la ville de Lyon, 1° avril-30 Août1873 avec cette épigraphe, empruntée à Victor de Tracy : " Avoir raison tout seul, n'est-ce pas la même chose que d'avoir tort ?"
Cette publication, accablante pour le préfet Ducros, fit le plus grand honneur à Jeandet, qu'elle nous montre travaillant activement à l'inventaire des archives et en relations pleines de cordialité avec les Lyonnais les plus distingués de cette époque, tels que Vital de Valons, le digne conservateur de la bibliothèque du Palais des arts; Joséphin Soulary, l'un des plus grands sonnettistes connus; le Dr Monfalcon, conservateur de la grade bibliothèque de Lyon et auteur de l'Histoire monumentale de cette ville , en 8 volumes in-4. Cet ouvrage, qui ne se trouve plus dans le commerce, a été donné à Jeandet, comme le prouve cette dédicace autographe : " Exemplaire n° 96. Offert au nom de la ville de Lyon, à Monsieur Abel Jeandet, conservateur des archives de la ville , en considération de son dévouement à ses fonctions et aux lettres. Lypn, 15 mai 1873. Signé : "J.B. monfalon, bibliothécaire."
Abel Jeandet ne tarda pas à être dédommagé de son injuste destitution par les sympathies que lui témoigna M. Martin, maire de Mâcon, en le choisissant pour remplir les fonctions de bibliothécaire et d'archiviste de cette ville. En même temps le fils d'Abel Jeandet venait l'y rejoindre et prenait la direction du journal l'Union républicaine, où il se fit remarquer en traitant des questions politiques sous le titre de Carillons, et en publiant chaque jour une éphéméride historique ou littéraire.
L'année 1883 fut des plus favorables à Jeandet. Son séjour à Mâcon lui porta bonheur. Le conseil municipal de cette ville , sur la proposition de M. Martin, maire, lui vota une augmentation de taritement, " pour lui témoigner sa satisfaction du zèle et du dévouement qu'il apportait dans ses fonctions de bibliothécaire-archiviste."
Le 21 juillet de cette même année, il était nommé officier d'Académie en récompense des services qu'il rendait à la science et à la cause du progrès ( sic). Lorsque Jeandet résolut de prendre sa retraite, M. Vallier, alors maire de Mâcon, lui délivra, le 25 juillet 1884, un certificat dans lequel il attestait que M. Jeandet " n'avait cessé de donner des preuves de dévouement à tous ses devoirs dans le pénible exercice de sa profession, comme médecin du service gratuit des indigents et des épidémies, ainsi que dans les fonctions municipales gratuites de conseiller, d'adjoint au amire et de maire, qu'il a remplies pendant treize ans, enfin dans celles de bibliothécaire-archiviste de la ville de Mâcon, et que, dans sa longue carrière il s'est concilié l'estime et la considération generales."
L'Académie de Mâcon s'empressa de s'associer à ce concert d'éloges dans sa séance du 25 mars 1885, où son président, M. C. Deton, rédacteur en chef du Journal de Saône-et-Loire, se fit l'interprète des regrets que causait à tous le départ de M.Abel Jeandet.
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