1837
Nous avons reçu, mon cher Amédée, avec la lettre de ton frère, celle que tu y avais jointe et qui nous était destinée, mais dont nous n’avons pu déchiffrer qu’une partie tant l’écriture en était incorrecte et mal formée. Fais en sorte de t’appliquer un peu plus sur ce point, pour que à l’avenir, nous puissions te lire et te répondre.
Tous les détails qui nous ont été donnés de toi jusqu’ici sont assez satisfaisants. Tu continueras, nous l’espérons, à en mériter de semblables par ton travail et ta bonne conduite. Tu reconnaitras aussi les points que Madame de Mauroy te prodigue et l’amitié qu’elle te témoigne en ayant pour cette excellente dame une entière déférence à ses volontés.
Ta maman t’a mandé que c’était Vanté dit le papon, mari de la Biot , qui s’était noyé.
Nous ne sommes pas loin, mon cher enfant, d’une saison où les habits ne font plus qu’embarrassant, les tiens dureront peut être bien jusqu’à ce moment où il te suffira d’une blouse et d’un pantalon. Dans tous les cas on y pourvoira au besoin, et nous arriverons ainsi aux vacances prochaines où tu reviendras à Verdun te remonter des pieds à la tête, et retremper un peu ton amitié pour nous. C’est le voeu le plus ardent de ton père et de ton ami
Jeandet
Ta mère t’embrasse ainsi que toutes les personnes de ta connaissance à qui nous avons fait tes compliments.
Ta tante Toutou a toujours une assez mauvaise santé. La maman Satin, Aimé et leurs enfants se portent bien.
Verdun le 10 mars 1837
***
Nous n’avons pas eu moins de difficulté, mon cher Amédée, à te lire cette fois que la dernière. Ton écriture est toujours pour nous l’objet d’une étude fort longue et souvent infructueuse. Cependant nous y avons découvert avec plaisir que tu désirais ardemment de venir passer les vacances près de nous. Nous n’avons pas moins envie que toi, mon cher enfant, de nous trouver ensemble. Aussi en ai je écrit à ton oncle qui s’y prêtera, je l’espère, volontiers.
Pendant ton séjour ici nous travaillerons de temps en temps en sorte que tu ne paraisse avoir rien perdu à ton retour à Paris.
Malheureusement tu ne trouveras sur nos arbres ni poires, ni pommes, ni prunes, mais seulement des feuilles. J’ai grandement peur de plus que nous n’ayons point de raisins. La saison, après trois jours de chaleur, est redevenue très froide, et nous sommes en arrière de plus d’un mois.
Adieu, mon ami, continu d’être sage et laborieux, c’est le moyen de satisfaire pleinement aux voeux de ta bonne mère et à ceux de ton père et ami
Jeandet
Verdun le 1° juin 1837
***
Verdun sur Doubs et Saône
Le 11 Août 1837
Mon cher Amédée
Nous avons espéré pendant longtemps recevoir une lettre de toi ; ta maman surtout comptait sur une réponse et c’est avec peine qu’elle a vu que tu n’avais pas profité d’une lettre de mon oncle pour lui donner de tes nouvelles. Aussi comme elle n’avait que des reproches à te faire maman n’a pas voulu t’écrire, quoique tu ne nous en ai plus reparlé, nous pensons cependant que tu n’en désire pas moins ardemment de venir revoir tes parents et ton pays. C’est pourquoi comme on te l’a promis nous allons nous occuper de ton départ. Tu prieras donc Madame de Mauroy d’avoir la complaisance de te faire prépare ta petite malle. La cousine Clerget te recommandera à un conducteur qui te fera connaître le jour de ton départ. Tu ne manqueras pas ce jour là de nous écrire un mot pour que nous puissions nous trouver à ton arrivée à Chalon.
Tu n’oublieras pas les deux volumes et les autres objets que tu dois m’apporter et tu m’apporteras de plus un Salluste latin-français, 4 volumes de Tacite qui sont dans mon placard dans la chambre de ton oncle, et trois ou quatre autres petits volumes que ton oncle te donneras pour moi.
Adieu mon cher ami nous t’embrassons tous de tout notre cœur en attendant le plaisir de te voir, ton frère
Abel Jeandet
Je suis allé il y a quelques jours chez la maman Patin, tout le monde s’y porte assez bien et t’embrasse.
Cette lettre d’Abel Jeandet est adressée à Monsieur Amédée Jeandet
Chez M. Chapuis chef d’institution
Faubourg Martin 164
Paris
***
Verdun 19 décembre 1837
Tu dois être bien en colère contre nous tous, mon cher Amédée, de ce que nous avons été si longs à te répondre, mais maman qui voulait le faire a comme tu sais beaucoup d’ouvrage, mon papa et moi nous n’aimons pas beaucoup à écrire. Je te dis , comme tu vois, toute la vérité, parce que je sais bien que tu es trop bon garçon pour nous en vouloir, et que cela ne t’empêchera pas d’être exact à nous donner de tes nouvelles.
Nous avons été surpris et peinés tout à la fois en lisant ta lettre dans laquelle tu nous parle de l’ennui que tu éprouves, de l’impatience avec laquelle tu attends les vacances. Je pense qu’aujourd’hui tu as repris tes anciennes habitudes de travail et que cet ennui est en partie passé.; Quand aux vacances elles sont encore un peu trop éloignées pour y penser, du reste tu peux être persuadé, mon cher ami, que si par ta bonne conduite et ton travail tu satisfait ton oncle et par conséquent nous tous, tu auras le plaisir de venir l’année prochaine passer encore quelques temps dans ton pays et au milieu de ta famille qui t’aime, en attendant prend patience , moi même dans peu de temps j’irai te rejoindre.
Hier dimanche maman et moi sommes allés aux Bordes voir tonton qui va toujours à peu près de même, le papa Mnonnon est un peu indisposé, tous t’embrassent. Hier soir je suis allé sur la levée voir ?????? et là j’ai pensé à toi et ton pauvre char à glace qui se rouille, mais console toi car aujourd’hui tout est dégelé. Dis bien à mon oncle que je le supplie de ne pas m’en vouloir de ce que je ne lui ai pas écrit , je compte le faire incessamment ; je te charge aussi de na pas oublier de faire mes compliments à Madame de Nauroy. Je n’ai point de nouvelles à t’apprendre, tu sauras seulement que notre cousin Felix Desuelle est mort dans les premiers jours de ce mois.
Adieu, mon cher Amédée, nous t’embrassons de tout notre coeur, ma maman, mon papa et moi qui suit pour toujours ton frère et ami.
Abel Jeandet
embrasse mon oncle pour moi .
Lorsque tu nous écriras, ce que tu feras bientôt, ne manque pas de nous parler de ton camarade Galand.
Cette lettre donc écrite par Abel est adressée à son frère Amédée : institution Chapuis , faubourg st martin 164 paris Il semble donc que l’oncle Chapuis tenait une pension à Paris à cette adresse . Il devait donc être maître de pension.
***
1838
Il y a si longtemps, mon cher Amédée, que tu n’as pas reçu un mot de moi, que tu auras peine à reconnaitre mon écriture. Tu m’as assez vu et tu étais déjà assez grand pour savoir combien il m’en coûte d’écrire, sorte de paresse ou d’inaptitude que l’âge ne fait qu’augmenter, et dont je vais user dès aujourd’hui, tant envers toi qu’envers les autres pour me servir d’excuse.
Je te remercie de tous les renseignements que tu nous a donnés pour l’éducation de ta bique. Je pense que tu mets à profit tous ceux qui se sont largement donnés aussi pour la tienne. Je me le persuade d’autant plus facilement qu’il y a quelques progrès dans ton écriture et ton style, on commence à te lire et à te comprendre. Continues et peut être parviendras tu à nous surprendre et à te faire admirer.
Ta maman est à Chalon depuis trois jours. Elle a mis conformément à ton avis, la ??? en cage. Mais cette bête a contracté des habitudes vagabondes et à moins de la tenir en prison, je doute fort que l’on puisse l’en corriger sans lui tordre le cou. Que dirais tu si l’on se voyait obligé d’en arriver là ?
Tu parais faire déjà tes dispositions pour venir passer les vacances. Il parait que Désiré Galland envisage le voyage d’une autre manière, qu’il le regarde comme une perte de temps qu’il emploiera utilement où il est. Peut être en y pensant mieux prendras tu le même parti. Informe moi du résultat de ta réflexion à ce sujet.
La maman Satin est avec moi en l’absence de ta mère. Elle se porte ainsi que si possible.
Tes compliments ont été portés à leurs adresses. En revanche tu te chargeras de présenter les miens à ton oncle et à Madame de Mauroy.
adieu, mon cher enfant, aime nous comme nous t’aimons, ton affectionné père
Jeandet
Verdun le 4 juillet 1838
***
1839
Lettre adressée par Abel Jeandet à son frère Amédée chez son père docteur en médecine, rue de la chapelle à Verdun sur le Doubs ( Saône et Loire )
Dijon 8 juillet 1839
Mon cher ami,
Quoique j’ai été long à te répondre, j’espère cependant que tu ne m’en voudras pas, et que tu ne douteras pas non plus du plaisir que m’a fait ta lettre; Ce que je regrette, c’est de n’en avoir pas reçu plus souvent de toi. Je comprends toute la peine que tu as du éprouver en quittant notre agréable maison du grand chemin, et cette idée là je t’assure ne m’afflige pas moins que toi.
Je suis bien aise d’un autre côté que tu te sois trouvé chez nous à l’époque du déménagement afin d’aider un peu maman, à ma place,et de veiller aussi sur mes livres et autres affaires que je confie à tes soins. Maintenant tu es déjà à peu près installé dans notre chambre commune , et je pense que tu as repris tes travaux; du courage à l’ouvrage, mon ami, Labor improbus omnia vincit *? Travailles donc et amuse toi bien; profite du bonheur si grand et que tu désirais ; celui d’être dans ton pays , au milieu de ta famille qui t’aime et qui t’aimera d’autant plus que tu l’aimeras davantage.
Adieu mon cher ami, porte toi bien, je t’embrasse de tout mon coeur, et suis pour toujours, ton frère
***
Je commençais, mon cher ami, à t’en vouloir un peu; je te l’avoue, et ta lettre m’a fait d’autant plus de plaisir que comme tu le sais fort bien je n’y comptais guère. Sans te flatter, je ne te cacherai pas que je ne suis point trop mécontent de ton style , il te manque de la pratique que je t’engage à acquérir. Je ne regarde pas ce petit billet comme une lettre , une autre fois je t’écrirai plus longuement mais dès à présent y je te remercie des détails que tu me donnes sur nos parents car je suis fort aise d’apprendre qu’ils sont en bon chemin.
Adieu mon cher frère, je te fais grâce de la morale pour cette fois, car je vois que tu es en progrès, puisque tu reconnais tes défauts; je t’embrasse en attendant le plaisir de te voir
Ton frère
Abel Jeandet
Dijon 29 octobre (?)1839.
***
1840
J’ai lu avec bien du plaisir, mon cher enfant,la lettre où tu nous annonçais ton heureuse arrivée à Paris, quoique tu aies eu, comme à ton ordinaire , des vomissements pendant une partie de ton voyage. Je n’y ai remarqué que quelques fautes d’orthographe dans lesquelles bientôt tu ne retomberas plus avec un peu d’étude et d’application, et en général j’en ai été assez content.
J’ai conclu aujourd’hui avec M. Bernard l’affaire qui te concerne. à son retour à Paris tu entreras chez lui c’est à dire vers le premier ou le 2 janvier prochain. J’ai contracté pour toi l’engagement de t’y laisser pendant trois ans et comme garant de cette promesse, j’ai pris celui de payer la somme de 1800 francs dans tous les cas. tu vois par là ce que tu as à faire pour que cette charge quelque lourde qu’elle soit à ma position qui t’est bien connue, me devienne pourtant facile et même agréable à supporter. Une ferme volonté d’apprendre, de la docilité aux conseils qui te viendront de plusieurs et toujours d bonnes parts, des soins, des égards des attentions , des prévenances avec tout le monde afin que tu forces d’une certaine façon les autres à en avoir pour toi. Voilà ce que j’attends et ce que j’ai la certitude d’avance d’obtenir de toi. Je suis heureux déjà d’apercevoir dans un avenir peu éloigné la perspective qui t’est réservée. A ton âge trois ans se sont presque qu’un point dans la vie et toutefois si tu veux les employer utilement en marchant dans la voie que je viens de t’indiquer, tu auras atteint le but le plus difficile de la profession que tu embrasses. c’est le moment en effet que tu pourras presque te suffire à toi-même, les élèves qui en sont là recevant, avec la nourriture, un traitement qui n’est pas moindre de trois cent francs par an. Comprends tu maintenant combien tu as d’avantages sur ton pauvre frère qui, après huit ou dix ans d’études aussi arides que variées, est pourtant destiné, comme moi, à n’en jamais retirer un grand fruit. Si les larmes que tu as répandues lors de notre séparation, étaient le sincère témoignage de ton affection pour nous tu n’oublieras pas que je veux qu’Abel me représente à Paris par rapport à toi, avec un peu de réflexion il te sera doux, j’en suis sur d’avoir pour guide un frère et le plus dévoué des amis.
Ta mère et moi t’embrassons tendrement
Jeandet
Verdun le 26 décembre 1840
***
Je ne veux pas reprendre à la lettre , mon cher Amédée, tout ce que tu viens de nous écrire sur ta nouvelle position, pour ne pas ajouter à mes ennuis trop réels d’autres ennuis peut être imaginaires. En toutes choses les commencements sont toujours les plus difficiles, et tu ne dois pas t’attendre à une exception unique en ta faveur. Le temps n’est pas loin, je l’espère , pù tu m’écriras d’une tout autre manière, lorsque les travaux de ta profession te seront devenus faciles par l’habitude de les faire. Tu as appris avec moi et mon exemple te l’a assez montré que la vie n’est point semée de roses mais de ronces, et que la meilleure est celle où l’on souffre le moins. Ce serait ici le sujet d’un fort long chapitre que nous traiterons un jour ensemble quand nous aurons terminé notre cours de philosophie.
Je désire que dans ta plus prochaine lettre tu nous donnes les détails les plus circonstanciés sur ce que tu fais depuis le moment où tu sorts de ton lit jusqu’à celui où tu y rentres; que tu m’y parles des jours où ton oncle vient te donner des leçons et en quoi elles consistent; que je sache enfin si tu as acheté quelques livres et notamment ceux dont nous nous étions entretenus ici, en un mot il faut que tu nous informes de tout ce qui te regarde tant au physique qu’au mental, mais il faut aussi pour cela que tu prennes ton temps afin que tu puisses t’en acquitter selon nos désirs. tu pourrais y consacrer le premier dimanche où tu auras la permission de sortir et que tu iras auprès de ton frère.
N’oublie pas de présenter et de faire agréer nos compliments affectueux à M. Bernard.
Adieu, mon ami, porte toi bien et ama nos sicut te amamus, ton père et ami
Jeandet
Mon cher ami il faut ménager tes habits pour ménager aussi notre argent que tu sais être fort court. C’est pourquoi j’en dis à ton frère quelques mots qu’il te communiquera. Nous espérons que tu t’y conformeras par le motif d’économie dont je viens te parler.
Dès que je trouverai une occasion sûre je t’enverrai des chemises.
Adieu mon cher ami je t’embrasse de tout mon coeur
Ta mère Annette Jeandet née Chapuis
Tous les ??? se portent bien et te font leurs compliments.
***
Ajouter un commentaire