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1841 -1842
1841
Lettre de François Philoclès Jeandet à son fils Amédée chez Monsieur Bernard Derosne Pharmacien rue St Honoré à Paris
Monsieur Legey-Ragonneau qui se rend à Paris a bien voulu se charger de cette petite épître qui te donnera des nouvelles de nos santés qui sont probablement bonnes aujourd’hui. Il te remettra aussi quatre chemises que ta mère t’envoie.
Nous comptions que tu aurais employé une de tes journées de sortie pour nous écrire et répondre à toutes les demandes que je t’ai adressées dans ma dernière. Je tiens beaucoup à ce que tu nous satisfasses pleinement sur ce point. Après deux mois bientôt consacrés à ta profession et à des études accessoires tu es à peu près à même de juger du résultat et de ce que tu peux raisonnablement espérer de l’avenir. Dis nous, pour que nous supportions plus facilement ton absence, que tu commences à te faire à ta nouvelle position et qu’avec du temps , du travail et de la patience tu as la ferme conviction d’arriver au but. C’est à quoi se borne toute l’ambition de ton pauvre père qui voudrait vivre seulement assez pour voir ses deux chers enfants aussi heureux que le comportent les missives attachées à notre condition humaine et sociale.
Le carnaval est tout à fait mort à Verdun où règne, comme d’habitude, une tristesse désespérante même en ces jours autrefois si remplis de joies bouffonnes et vivaces. Les sociétés jouantes se sont partagées en deux camps où l’on sèche d’ennuis de chaque côté. On tâche d’en imposer chez l’une en mangeant presque chaque soir des gaufres qu’on arrose assez mal de l’âpre jus de nos treilles. Dans l’autre dont fait partie ta mère et moi par conséquent quoique toujours absent, on se réunit en masse aujourd’hui, pour la première fois cependant, à l’effet d’établir une salutaire rivalité, en mangeant une dinde étique et aussi des gaufres. La bon temps est passé, personne n’ose parler d’un pique nique général. Il y en aura-t-il de partiels ? je l’ignore encore.
Adieu, mon ami, porte toi bien et aime nous comme nous t’aimons, ton affectionné père
Jeandet
Verdun le 20 février 1841
***
Tu sembles te plaindre, mon cher Amédée, de la rareté de nos lettres, oubliant complètement, pour ce qui me regarde, que tu as à cet égard un privilège sur ton frère à qui je n’ai peut être pas écrit sept ou huit fois depuis qu’il est séparé de nous, tandis que en voila cinq au moins, que je m’acquitte directement de cette obligation envers toi qui ne nous as quitté il n’y a pas encore six mois. Tu sais assez combien est grande ma répugnance sur cet article et que quelques graves que soient les motifs , il m’est souvent impossible de la surmonter. Je désire que tu te le rappelles à l’avenir et que tu n’en tires aucune conséquence qui tendrait à te faire douter de notre tendre affection pour toi.
A part les témoignages de ton amitié que nous avons lus avec plaisir, ta lettre nous a causé beaucoup d’ennuis. qu’est ce donc que cet embarras nouveau qu’on veut apporter au baccalauréat ès lettre ? tu en parles d’une manière si générale que nous ne pouvons nous en faire une idée. Sois plus explicite une autre fois, si tu as l’intention d’être compris, ou charge on frère de nous donner des explications à ce sujet, car il nous importe, plus que tu ne penses, de bien connaître toutes les difficultés que tu as à vaincre afin d’apprécier nos réponses et surtout les tiennes. Au reste s’il s’agit que de la connaissance d’une langue vivante étrangère , soit par exemple l’allemand ou l’anglais, je ne crois pas que nous devions beaucoup nous inquiéter à l’heure qu’il est, encore une fois, parce que je ne saurais trop te le redire, nous avons devant nous un temps immense, et si tu as continuellement sous les yeux et que tu prennes pour règle de ta conduite, cet infaillible précepte labor improbus omnia vincit . Il en faudrait bien moins à un jeune homme au dessous même de l’ordinaire pour atteindre le but que nous nous proposons, qui empêcherait, à tout prendre , que dans quatre ou cinq ans tu n’allasses en passer un comme élève pharmacien à Londres à seule fin de confondre le malheureux professeur ou examinateur français qui voudrait avec toi parler ou expliquer l’anglais ? pourquoi ne dirai-je pas la même chose du grec ? la langue qu’on parle dans l’Athènes moderne est-elle donc si différente de celle qu’on parlait dans l’ancienne pour qu’un an de séjour en cette ville ne nous rendit plus fort sur le point des ????? ? mais laissons tout cela pour un avenir encore fort éloigné et en l’attendant, occupons nous des études actuelles seulement sans trop se tourmenter de ce qu’il sera nécessaire de connaitre plus tard. Tout vient à bien à qui sait attendre en ajoutant cette fois et à qui sait travailler pour cela.
Je ne finirais pas sans t’exprimer la crainte où je suis que tu n’aies pas la plus extrême confiance en ton frère , je l’ai institué à Paris mon représentant près de toi, parce qu’il est le seul en cette immense ville qui t’aime aussi comme moi. N’oublie jamais que tu me manquerais à moi personnellement si tu n’avais pas la plus entière déférence à ses conseils.
Depuis plus de cinq mois Jeandet n’a point écrit à son père , on ne sait ce qu’il est devenu. Dis nous comment il se fait que vous sembliez l’attendre à Paris ?
Adieu mon cher enfant, porte toi bien et bien qu’il n’y a guère d’instant que nous ne songions , tendrement au pauvre apothicaire.
Ton père et ton meilleur ami
Jeandet
P.S.Je pense qu’il serait inutile d’écrire à Mr Bernard. Le temps qu’il accorde aux études et le peu sans doute dont il peut disposer, c’est à toi à en augmenter la durée en le prenant sur tes heures de loisirs et surtout le matin en te levant à quatre ou cinq au plus tarde qui donnerait probablement deux heures car la pharmacie ne s’ouvre guère avant sept …
cette lettre non datée a été postée le 30 mai 1841
***
Crécy le 9 juillet 1841
Mon cher ami,
Je n’avais pas l’intention de t’écrire à présent, mais dans le peu de temps qui s’est écoulé depuis le moment où tu m ‘as quitté jusqu’à celui de mon départ, il m’est arrivé tant de choses comico-tragiques que je suis obligé d’avoir recours à toi. Je n’ai pas le temps et il serait trop long de te raconter ces histoires en question, je te dirai seulement que par suite de désagréments que j’ai éprouvés, la nuit de mon départ, dans mon hôtel j’ai l’intention, de donner congé pour la dernière quinzaine de mon mois qui qui ne finit que le 12 août. Ceci demanderait de ta part beaucoup de soin et de bonne volonté, car tu serais obligé de faire mon déménagement. Je compte dans ce cas sur Adrien pour loger mes effets, je lui écrirais probablement à ce sujet. Ne parle pas de cela à ma propriétaire, mais ne manque pas en me répondant de me dire si tu te crois capable de faire , d’après les instructions que je te donnerai, ce que je demande de toi.
J’ai à te charger pour à présent, d’aller à mon hôtel, le plus tôt que tu pourrais, tout à fin d’y porter la lettre ci-incluse que je te permets de lire et que tu cachèterai ensuite, que pour chercher un petit paquet enveloppé dans un journal, que j’ai laissé soit dans ma chambre , et alors tu le mettrais dans mon secrétaire, soit chez Mr Prungé n°6. Ce paquet renferme mes diplômes , là je te recommande bien ces deux dernières commissions. Ne parle à personne qu’à mon oncle de ce que je t’ai dit plus haut, si mon hôtesse te demande quand je reviendrai dis lui ( ce qui est la vérité) que tu n’en sais rien.
Tu me répondra bientôt pour m’apprendre que tu as fait la commission dont je te charge; tu me diras en même temps si j’ai reçue livraison de l’album.
Je n’ai pu m’occuper de la blanchisseuse, ainsi que je te l’avais promis, tu pourrais lui faire passer ton adresse en allant à Chatenay. J’attends mon paquet.
Adieu, mon cher ami, je t’embrasse de tout mon coeur,
ton affectionné frère .
Abel Jeandet
***
Nous avons lu, mon cher enfant, non sans en être profondément touchés, ta dernière lettre du dix de ce mois, laquelle nous a été remise par Mr Adrien de Crécy. Nous en déplorons pas moins que toi l’espèce de nécessité qui met obstacle à notre prochaine réunion. Tu sais sans doute que l’une de nos conditions avec Mr Bernard c’est que tu n’auras point de vacances avant l’année 1842. Il faut bien se soumettre à ce qu’on s’est prescrit quelque dur qu’il soit.Ce délai pour moi surtout qui compte journellement si peu sur la durée de la vie me parait infranchissable, et avec cette idée je suis mille fois plus malheureux qu’un autre n’ayant pas la fatuité d’en avancer le terme. On met au nombre des prétendus biens qui sont départis à notre pauvre nature humaine l’ignorance où nous sommes de la longueur ou de la brièveté de notre existence, mais on doit ajouter, je crois, qu’il est des circonstances où il nous serait infiniment meilleur de le connaitre , en mon particulier je voudrais qu’il en fut ainsi : je ne mourrai pas alors sans avoir encore passé quelques jours avec mes deux chers enfants.
Il y a un grave inconvénient à ce que presque tout ton temps soit employé en occupations pharmaceutiques et que tu n’en aies point à donner à tes études littéraires qui sont à faire en entier. J’en écrirai bien à Mr Bernard, mais je pense que je n’y gagnerais rien. Les nombreux travaux qui s’exécutent dans sa maison lui ôteraient du reste les moyens de satisfaire à ma demande. Nous verrons plus tard, après nos trois années d’apprentissage, ce qu’on pourra faire à ce sujet et si nous ne devrons pas nous renforcer uniquement dans le complément de ton instruction. A cette époque tu n’auras pas encore dix neuf ans et quoique marchant, comme tu me l’écris, à la manière des colimaçons, tu n’auras pas laissé que d’avancer déjà vers le but. En t’examinant toi même dès aujourd’hui avec toute la sévérité possible crois-tu pouvoir en définitif y arriver ? c’est là, je l’avouerai, ma préoccupation de tous les instants, et l’une de ces inquiétudes d’avenir qui est venue s’ajouter à toutes celles que j’avais autrefois. réponds moi nettement sur cette question.
Mr Adrien de Crécy nous a donné des détails fort satisfaisants sur toi. Il t’a trouvé gras, frais, bien portant et il a su de Mr Bernard qu’on était content de ton travail. Continues, mon cher ami, et justifie ainsi la bonne opinion qu’avait de toi mon excellent et vénérable père dont la mémoire te deviendras plus chère encore.
Depuis plus d’un mois il fait ici un temps horrible. Il pleut, il vente, il tonne sans interruption. Ce beau climat de France que je n’ai jamais vu tel depuis plus de 40 ans est d’une intempérie insupportable. Nous avons été sur le point d’être inondés de nouveau. Le doubs croissait avant hier de trois pouces et demi par heure. il s’est pourtant arrêté cette nuit et nous en serons quitte pour la peur.
Tous les dégâts causés chez nous par les inondations du mois de novembre sont réparées. Il m’a fallu avoir affaire avec tous les ouvriers.J’ai eu, entre autres, deux et même trois maçons par jour pendant près de deux mois. Les rentrées de mon locataire s’opèrent assez mal et seront bien loin de suffire à la dépense que j’ai été obligé de faire.
Ta mère écrit par le même courrier à Abel. elle lui parle longuement de tes habits, matière qui est de son ressort et non du mien. Je te dirai pourtant à ce sujet que Mr Adrien jeune, devant bientôt venir à Verdun, tu profiteras de cette occasion pour nous renvoyer ta vielle redingote qui est peut être encore raccommodable, et qui, avec les changements que tu nous indiqueras, nous servira de modèle pour t’en faire faire une autre ici. J’ajouterais aussi que la saison est trop avancée pour acheter des nouveaux habits d’été que ce que tu en as aujourd’hui te suffira du reste. 0 sa rentrée à Paris ton frère te donneras tous les détails relatifs à ce grave objet.
Adieu, mon ami, continues de te bien porter et n’oublies pas de nous donner, à défaut d’Abel qui sera probablement bientôt près de nous, de fréquentes nouvelles. Ton père et ton meilleur ami
Jeandet
Verdun le 18 juillet 1841
P.S. Abel est chargé de te remettre dix francs. Mr Adrien sera peut être à la veille de partir au moment où tu recevras cette lettre. Ne perds donc point de temps pour le voir et lui donner ta mauvaise redingote qu’on te renverra aussitôt par Mr Adrien de Crécy.
Fais moi savoir l’adresse de ton oncle. fais agréer nos compliments affectueux à M. et Mme Bernard.
***
Crécy le 21 juillet 1841
Mon cher Amédée,
J’ai été très sensible à l’attention que tu as eu de m’envoyer la lettre de Mr Pelliat (?) qui en effet m’a fait plaisir et je me hâte de t’en remercier. Avec ta lettre il m’en est encore arrivé une de maman. Elle renferme principalement des conseils pour éviter les chutes de cheval, ainsi que de longues explications touchant tes vêtements, explications qui servent de réponse à ce que tu as écrit ; je te communiquerai cela en temps et lieux.
Maman m’apprend en outre, mais sans aucun détail une nouvelle qui me fait grand plaisir; c’est que dimanche dernier notre cousin Adrien et son frère ont du déjeuner chez nous, où ils avaient déjà dîner le vendredi précédent.
Le temps est également très mauvais dans notre pays où les eaux sont prêtes à déborder.
J’ai été on ne peut plus satisfait de ta première lettre , et mes grandes occupations seules m’ont empêché de te répondre plus tôt. L’espèce de clientèle de notre père n’est pas capable de donner une idée de celle de notre cousin Adrien, car quoique les malades ne soient pas en grand nombre, il m’en est déjà passé 27 sous les yeux depuis mon arrivée ici. Aujourd’hui j’ai déjà fait trois petits voyages et il m’en reste encore deux à faire.
Jusqu’à présent j’ai été chaque jour 5 à 6 h à cheval, tu vois par là que je n’ai pas le temps de m’ennuyer, et même à peine celui de me reposer.
Je ne peux t’en écrire plus long maintenant. Si j’ai le temps je mettrai dans cette lettre un petit mot pour Adrien, afin de savoir, s’il peut héberger mes effets et même ma personne au besoin; dans ce cas je te donnerai des instructions pour mon déménagement.
Adieu mon cher Amédée je t ‘embrasse de tout mon coeur et je te prie de me croire pour toujours ton frère et ton meilleur ami.
Embrasse mon oncle pour moi .
Abel Jeandet
Notre cousine Adèle qui est loin de t’avoir oublié, me charge non seulement de te dire qu’elle t’embrasse, mais encore de beaucoup d’autres choses aimables que je te laisse à deviner.
P.S. ne t’avise pas, si tu m’écris, de me décorer de mon titre d’étudiant en médecine, et rappelle toi que je suis jusqu’à nouvel ordre Docteur de la faculté de médecine de …..Crécy
24 juillet 1841
Tu vois mon cher Amédée par la date de ma lettre que je n’avais pas tardé longtemps à te répondre, mais le temps qui m’a manqué pour écrite un mot à Adrien que je crois encore à Paris et pour envoyer affranchie cette lettre ont retardé son départ jusqu’à aujourd’hui et si Adrien te répond qu’il peut loger mes effets, tu voudras bien te mettre de suite à faire mon déménagement, tu demanderas à cet effet à Mr Bernard quelques petites sorties extraordinaires, et l’argent pour les petits frais que cela occasionnera.
Je te recommande mon album, mes gravures et autres papiers ????? que tu réuniras tous ensemble et emportera sous ton bras. Tu mettras toutes les petites choses qui sont dans mes tiroirs dans le fond de ma caisse , les petits livres dans le panier long, les gros en liasse . Le linge sale et et les habits d’hiver en en simples paquets. et tu passera ensuite une revue générale pour t’assurer que tu n’auras rien oublié ! Si Adrien était parti , tu t’assurerai de caser cela chez Mr Bernard, tu ne laisseras à l’hôtel que le poêle dont on se débarrassera plus tard . Je m’en rapporte à ton habilité pour donner à mon hôtesse des raisons satisfaisantes, rien n’est plus facile , l’époque éloignée de mon retour par exemple;
Tu déchiffreras la fin de ma lettre comme tu pourras ; je n’ai pas le temps de la relire.
***
Crécy 29 juillet 1841
Mon cher ami,
Cette fois au lieu d’avoir à louer ton obligeance et ton exactitude, je regrette d’être forcé de me plaider du peu d’empressement que tu as mis à me rendre le service que je t’avais demandé. Je conviens que tu n’as pas beaucoup de temps à ta disposition et que d’un autre coté j’aurais pu à la rigueur faire moi même mon déménagement, mais d’après ce que je t’avais écrit tu aurais du comprendre que j’avais une bonne raison pour te charger de ce soin. Aussi je maintiens donc ce que je t’ai dit à ce sujet. Commence je t’en prie à ranger les livres , portes même si tu peux mes gravures chez Adrien qui a dit à notre cousin que son logement était à ma disposition. Tu demanderas à Mr Bernard 25 à 30 francs tant pour payer mes 20 francs de loyer que pour autres frais ( ???????) je te donnerais moi même à Paris , les instructions nécessaires pour terminer le déménagement, je pense rester ici deux ou trois jours non seulement pour me refaire de mes fatigues mais pour me remettre d’un accident qui m’est arrivé et je me suis heureusement tiré à bon marché. Mon cheval s’est abattu avant hier et j’ai été lancé par fessu sa tête à une dizaine de pas de lui. je suis rompu mais je n’ai qu’une légère entorse au poignet droit et j’écris comme tu vois très difficilement .
Adieu mon cher ami, je t’embrasse de tout mon coeur , ton frère
Abel Jeandet
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8h du soir
Forcé de rester ce soir à la maison pour attendre une personne avec laquelle je dois terminer une affaire au nom d’Adrien, il m’est impossible d’aller te voir afin de régler notre voyage de demain . Je t’écris ces deux mots pour t’épargner la peine de venir chez moi et pour te prévenir que demain j’irai te prendre le plus tôt que je pourrais; ce sera je pense entre midi et une heure.
ton frère et ami
Abel Jeandet
Paris 7 août 41
Tâche de connaître les heures de départ des bateaux à vapeur qui stationnent au pont royal.
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Verdun le 20 août 1841
Mon cher ami,
Depuis hier matin , je jouis du bonheur d’être auprès de nos bons parents, et l’impression pénible de notre séparation , l’isolement dans lequel elle te laisse, altère seul les plaisirs que je goûte aujourd’hui.
A part une légère indisposition , notre voyage s’est passé on ne peut mieux, et jamais je n’avais parcouru aussi rapidement la distance qui nous sépare de Paris; 32 heures après notre départ de cette ville , nous étions arrivés à Beaune. Je viens maintenant au but principal de cette lettre ; c’est à dire à la question du costume. Grand conseil a été tenu sur ce grave sujet, et vue l’urgence, il a été arrêté que tu achèteras un nouveau paletot de 9 à 10 francs pas davantage, et qu’aussitôt après tu feras blanchir et raccommoder l’autre , que tu endosseras immédiatement , afin que le premier paletot que tu ne mettras plus que pour faire tes courses , soit encore en bon état l’été prochain, ce qui nous parait très possible.
A mon arrivée à Verdun j’ai trouvé ma redingote déjà à moitié faite et je crois que j’aurai lieu d’en être fort content, si tu n’étais pas plus difficile que moi, on t’en ferait confectionner une semblable ici, car le tailleur a ta mesure. Cependant si tu persiste dans ta résolution fashionable ce que tu nous diras dans ta prochaine lettre , nous écrirons quelques mots à Mr Duroq pour qu’il t’en fasse une à Paris. On pourvoira à un troisième habit quelconque pour l’hiver.
Notre père se porte bien, maman seule est indisposée depuis quelques jours , j’espère que cela ne durera pas.
Adieu mon cher Amédée, travaille bien, prends courage et reçois les embrassements de ton frère et ami
Abel Jeandet
Mon papa et maman t’embrassent
Embrasse mon oncle pour moi, et dis lui que mon papa a été très sensible à sa lettre et qu’il espère que son voyage de Verdun , ne sera peut être que différé.
Le temps est magnifique depuis deux jours.
***
Verdun le 15 septembre 1841
Mon cher Amédée
Quoique t’écrire soit loin d’être pour nous une affaire difficile ou pénible, nous avons cependant tardé un peu à te répondre, et je vais en me chargeant aujourd’hui en partie de ce soin te dire quelques unes des causes de ce retard. D’abord, tu paraissais désirer que ce fut maman qui t’écrivit, et elle en a été empêchée par ses occupations ordinaires qui comme tu sais , sont toujours très grandes, et surtout par l’indisposition dont je t’ai déjà parlée et qui n’a disparu que depuis quelques temps. En second lieu comme ton papa et moi devions t’écrire, nous nous reposions de ce soin l’un sur l’autre, aucun de nous ne s’en acquittait.
Ensuite nous sommes allés voir notre cousine Clerget, enfin est arrivée la foire de ciel pendant laquelle je suis allé déjeuner chez Mr Bobet et le lendemain nous avons eu à dîner chez nous le docteur Martin qui va partir
incessamment et le notaire Bernard. compère Tixier était également arrivée avec sa femme et sa fille , mais ils n’ont fait que paraître et disparaître . Ainsi que tu dois le penser je n’ai rien de curieux à t’apprendre, car il y a longtemps que la France en général et Verdun en particulier ont cessé d’être le théâtre d’événements importants. à leur défaut je te dirais deux mots de la 2° fête de L’île du Chassel hélas je l’ai vue et j’ai regretté sa soeur ainée qui avait été et qui surtout m’avait apparu si belle et si riante à travers le prisme de l’éloignement, et pourtant l’île était verdoyante, le ciel était calme et gris comme les eaux du Doubs, mais pour ????? d’animer cette scène charmante il fallait des acteurs. J’ai cependant à te signaler une heureuse innovation et un immense pas fait par le verdunois dans la véritable voie de la civilisation. si le soir qui a précédé la fête dont je te parlais tout à l’heure tu étais allé , attiré par la beauté de la lune , sur le bord de notre Doubs ????? des sons harmonieux semblaient sortir du fleuve auraient charmé tes oreilles , tandis que tes yeux auraient été agréablement surpris à l’aspect d’une barque enchantée qui de sa proue de feu fendait les ondes argentées par la lune et exhalait des ??????? que tu venais d’entendre (1) . maintenant tu peux comme tu le rois regretter ton Verdun et ta famille mais, credo experto roberto *, ne regrette pas la fête de l’île , car du milieu de ton officine de la rue Honoré, elle te parait plus belle que de la fenêtre de la rue de la chapelle.
Adieu mon cher ami, je t’embrasse de tout mon coeur et je te recommande en mon nom comme en celui de notre père d’être économe de ton temps et de ton argent.
Ton frère Abel Jeandet
(1) je dois t’annoncer qu’il s’est formé à Verdun une société musicale.
Ainsi que ton frère te le dit je n’ai pas eu le temps de t’écrire en entier cette épître . Je suis très contrariée de n’avoir pu te faire réponse plus tôt , tu sais mon cher ami que j’attends avec beaucoup d’impatience vos lettres et je pense que mes enfants éprouvent le même désir pour en recevoir des nôtres. Je vais seulement traiter la question des habits parce que le papier que j’ai à remplir est un peu court , on t’écrit, mon cher ami, de t’acheter un paltot Je ne te dis pas d’emprunter 10 francs auprès de M. ???? puisque tu as 20 même 30 f dans ta poche ; car quand on te donne de l’argent c’est pour t’acheter les objets dont tu as besoin. Je t’en dirai pas d’avantage sur cet article, ménage ton argent afin que tu puisses à l’arrivée de ton frère rendre les 10 f que tu as empruntés. Je chargerai Mr Martin du drap que je t’ai acheté pour faire ta redingote . Tu la mettras très rarement ainsi qu’un gilet que je t’envoie, pour qu’aux vacances prochaines ces vêtements soient encore neufs. Tu recevras aussi un foulard dont je te fais cadeau, ton frère te portera une cravate noire. écris moi du 20 au 23 courant,
adieu mon cher ami je t’embrasse de tout mon coeur ainsi que ton père
Ta mère Annette Jeandet née Chapuis
* crois celui qui à l’expérience en la matière
***
La lettre qui suit est écrite par Abel Jeandet et adressée à son frère Amédée. Amédée est à Paris en école de pharmacie. Abel est encore à Verdun.
Je ne pense pas , mon cher Amédée , que tu comptais recevoir une lettre de moi par ton patron qui doit quitter Verdun demain avec toute sa famille, aussi n’est ce pas comme tu vois une lettre que je t’écris, mais seulement un petit billet pour te prier de faire passer à mon oncle la petite lettre que je lui adresse.
Dimanche dernier nous avons eu à dîner chez nous les familles Bernard, Jacquet et Girard , ainsi que notre cousine Eulalie ,????? qui habite Verdun depuis près d’un mois. Depuis plusieurs jours jusqu’à aujourd’hui exclusivement le temps a été pluvieux et les rivières croissent rapidement et commencent à inspirer des craintes ; puissent -t-elles s’écouler avec les eaux qui les ont apportées.
Adieu mon cher ami, j’espère aller te rejoindre vers la fin du mois en attendant je t’embrasse de tout mon coeur et t’engage à mériter par ta conduite la petite éloge que l’on t ‘a donné ici.
Ton frère
Abel Jeandet
A verdun le 5° jour d’octobre 1841
***
Nous avons lu avec plaisir, mon cher ami, dans ta dernière lettre, que tu trouves bien longue l’absence de ton frère. Tu comprends enfin aujourd’hui dans quel isolement elle t’a laissé, et combien son séjour à Paris t’est nécessaire pour supporter avec moins d’amertume notre séparation. Le voila aussi qui se prépare à nous quitter pour aller te rejoindre, et dans quelques heures, ta pauvre mère et moi ne vous verrons plus de long temps ni l’un ni l’autre. La seule compensation que nous puissions avoir, quand, chaque soir assis au coin du feu, nous causerons de vous, c’est d’avoir souvent de vos nouvelles.
Je ne m’aperçois pas, mon cher Amédée, que tu fasses de notables progrès dans tes études littéraires. Il y a dans tes épîtres des fautes qui tiennent surtout plus à la paresse qu’à toute autre chose. J’en remarque beaucoup dans l’orthographe de certains mots peu variables, que tu éviterais facilement en prenant la peine de consulter un dictionnaire. Comment arrive-t-il également que tu ne reconnaisses jamais bien le verbe à l’infinitif, ni le pronom possessif du pronom démonstratif lorsque tu pourrais si facilement éviter l’équivoque qu’i y a quelques fois en te rappelant les règles latines, et en traduisant en cette langue les petites phrases que tu vas écrite en français, et qui t’offrent quelques incertitudes. Ce moyen est très précieux et son emploi donne toujours une supériorité remarquable à celui qui sait passablement le latin sur celui qui n’en sait point, quand on écrit en notre langue. Il faut aussi, pour arriver à la perfection que je désire de trouver bientôt en toi, mettre une scrupuleuse attention aux lectures que l’on fait, afin que les mots qui passent continuellement sous vos yeux, se gravent, en quelque sorte avec leur orthographe, dans votre mémoire. Tu devras à l’avenir t’occuper sérieusement de cette partie importante de ton éducation, car rien ne décèle plus ouvertement le manque de toute instruction que l’ignorance de la langue maternelle. J’ose à peine, après cela, te parler de tes autres études. J’imagine qu’elles ne vont guère plus vite et qu’au point où tu en es maintenant, tu n’as pas encore acquis la certitude d’arriver au but. Le temps sans doute conduit grand nombre de choses à bonne fin, mais le travail et la persévérance en amènent encore plus . J’aurais une entière sécurité sur ton compte si j’apprenais que tu es doué de ces salutaires dispositions.
Quand bien même la France se composerait d’un peuple nomade et non civilisé, comme tu le souhaites, il n’en faudrait pas moins s’occuper des vêtements de la famille et de la tente qui sert à s’abriter au moment où elle change de lieu de résidence, surtout si elle faisait ses pérégrinations dans les parties septentrionales de ce pays. Quelqu’insipide que soit un pareil sujet, tu me permettras de te renvoyer aux économiques observations que t’a adressées ta mère à cet égard et de t’y conformer rigoureusement. De mon coté, j’ajouterai que ta dépense extraordinaire a dépassé de beaucoup mes prévisions. J’ai vu avec surprise l’état que ton frère m’en a présenté, lequel montait au 15 avant dernier, à 15 frs 30 cts. Nous avons à y joindre présentement le drap et la façon d’une redingote que j’évalue ensemble 70 frs, en tout 221 en moins d’un an, sans parler de vingt autres objets ainsi que des fournitures qu’on t’a données lorsque tu es parti de Verdun. Je veux et j’entends qu’il soit fait à ce sujet, de grandes réformes. Ainsi tes jours de sortie tu n’iras chez ton frère qu’après avoir déjeuné et tu rentreras dans la maison à l’heure du dîner que tu ne prendras avec ton frère que tous les quinze jours. Je donne à cet égard des ordres précis à Abel à qui tu voudras bien aussi faire grâce de toutes tes réclamations, sauf celles qui seront bien fondées, attendu qu’il n’a point mission d’y satisfaire.
Je crains mon cher enfant, que tu ne trouves un peu trop de sévérité dans les conseils précédents. Tu te rappelleras à cette occasion combien mon affection est grande pour vous et que si je m’impose de journalières privations à moi même c’est uniquement à votre profit. Tu connais l’exiguïté de mes ressources. Tu as vu l’année dernière au moment de l’inondation, que la plus grande partie a été en péril. Ton frère te dira qu’il n’y a pas quinze jours que nous avons couru le même danger, et qu’à l’heure où je t ‘écris la Saône te le Doubs croissent d’une manière si effrayante qu’on fuit les bords, qu’on abandonne notre faubourg, qu’il ne cesse de tomber une pluie battante et que nous sommes à la veille d’un désastre qui sera peut-être plus ruineux que celui ont la mémoire est encore si récente. Tu ne saurais te faire une idée de l’horrible position où je suis.
Adieu, car il ne m’est plus possible de continuer; j’ai la mort dans l’âme mais le coeur toujours plein de la plus tendre amitié pour toi et pour ton frère. Ce sera le dernier sentiment qui vivra en ton père. Jeandet
Verdun le 26 oct 1841
***
Tu nous diras peut être ce que vous êtes devenus toi et ton frère dont nous n’avons pas entendu parler depuis bientôt un mois. Les inquiétudes de votre mère surtout sont des plus cruelles. Abel, qui les connait, est bien coupable si le retard qu’il a mis à nous écrire n’a pas d’autre cause que sa négligence.
Un mot de réponse poste par poste et sans faute.
Ton père et ami
Jeandet
Verdun 9h du matin 27 nov 1841.
***
1842
Tu trouveras, mon cher enfant, dans une des poches du paletot qu’on t’envoie 129frs70 cté qui appartiennent à Mme Veuve Levesque à qui je vais écrire pour les faire prendre à ton adresse. En lui remettant tu auras soin de te faire donner un reçu que tu m’enverras dans ta plus prochaine lettre ou dans une des lettres de ton frère.
Je commence à compter le temps qui doit annoncer notre réunion. Il ne s’agit plus maintenant que de trois mois au plus. Combien il me tarde d’en être à la veille, et de n’avoir plus à craindre les évènements qui peuvent m’empêcher de jouir de cet heureux moment.
Adieu, mon ami, porte toi bien, profite de tes jours de congé pour aller travailler un peu sous la direction de ton frère, car plus tu avances plus tu dois sentir combien il te faut apprendre.
Ton père et ton ami
Jeandet
Verdun le 30 janvier 1842 T.S.V.P.
Tu recevras mon cher ami par Mr Jacquet le paletot que ton frère a du t’annoncer, il n’est point neuf comme tu le verras très bien mais il est encore très bon et très propre, aies soin de le ménager afin qu’il te fasse l’hiver prochain, celui ci tire à sa fin, fais servir tes vieux habits tant que tu pourras, ménages la dépense, car nous ne gagnons guère d’argent et nous perdons en grande partie celui qu’on nous doit.
Adieu mon cher ami, je ne puis t’en écrire davantage, je vais porter mes commissions à Mr jacquet qui va faire sa male .
Je t’embrasse de tout mon coeur
Ta mère Annette Jeandet née Chapuis
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( sans date, sans doute février 1842)
Quoiqu’on rencontre encore ça et là plusieurs fautes dans ta dernière lettre, mon cher Amédée, il y a néanmoins un sensible progrès et dans l’orthographe et dans le style. J’en suis d’autant plus satisfait que cette amélioration s’est faite assez vite pour me donner l’espoir que tu arriveras bientôt sur ce point au degré d’instruction qui convient à la profession que tu embrasses.
Ce n’est pas le seul plaisir que m’a donné ta lecture de ton épître. La ferme volonté que tu manifestes de continuer tes études pharmaceutiques malgré les nombreuses difficultés qu’elles présentent aujourd’hui m’a mis à mon aise. C’était un de mes plus grands soucis, et j’avais résolu avec Abel de bien examiner cette affaire, dès ta rentrée à Paris, dans le but probable de te taire abandonner cette partie. J’aime mieux qu’il en soit autrement, puisqu’il s’agissait de toi, et que c’est toi qui l’as ainsi décidé. J’en tire le favorable augure que tu comprends déjà qu’un homme même ordinaire, mais armé de patience et de résolution peut aller à tout. ( phrase en latin)
Je charge Abel de pourvoir à tous les objets dont tu auras besoin. J’espère qu’à l’avenir tu ne me mécontenteras plus par des dépenses dont tu serais fort embarrassé de montrer l’utilité. Tu as vu ma vie à Verdun. Elle a toujours été la même depuis 28 ans , c’est à dire qu’elle a commencé telle au moment où j’étais jeune encore , plein de fatigues, de tourments et de privations, j’y ai gagné ceci, en la continuant quoique devenu vieux, de pouvoir subvenir aux frais de votre éducation afin de rendre la votre meilleure.
Abel t’apprendra où nous en sommes avec l’eau, depuis plus de deux mois notre territoire et celui des communes voisines en est couvert. elle baigne les alentours des maisons et il ne cesse de pleuvoir, c’est quelque chose d’affreux à voir que notre pauvre pays. Je suis moi même depuis cette époque dans des angoisses auxquelles je ne sais pas comment peut résister ma santé.
Adieu, mon ami, porte toi bien et compte sur l’inaltérable dévouement de ton affectionné père.
Jeandet
Je pensais, mon cher Amédée, t’écrire seule comme tu le désirais, mais ton père étant content de ta lettre vient te le dire lui même et il faut profiter de sa bonne volonté car tu n’ignores pas que c’est une grande corvée pour lui d’écrire même à ses enfants. Malgré sa rigidité apparente, il ne s’oppose pas à ce qu’on t’achète les objets qui te sont nécessaires; mais on ne peut faire que cela, point de dépenses inutiles, les année sont trop malheureuses. Quoique tu n’aimes pas que l’on te parle économie, je suis forcée d’en toucher encore ici quelque chose. On va t’acheter un chapeau ainsi que tu le demandes, mais il faut le mettre rarement afin qu’il soit propre quand tu viendras en vacances. Tu dois concevoir qu’il est plus convenable d’être bien mis dans son pays où on est connu qu’à Paris où on ne l’est de pardonne. Je te fais ces observations parce que nous avons encore plus de 8 mois à courir avant cette époque. Tu dois également ménager pour ce temps ta redingote ainsi que ton gilet de casimir noir ce qui me semble très facile à faire dans la position où tu es car il nous serait de toute façon impossible de remplacer ces vêtements. Je me borne à cela, tu es assez raisonnable pour?????? la nécessité de suivre mes conseils.
Il y a une chose cependant que je désirerais savoir c’est de me dire comment tu as pu dépenser 30 frs pendant l’absence de ton frère . Dis moi la vérité quand même …..je compte sur la véracité de mon fils.
Adieu mon cher ami, je t’embrasse de tout mon coeur.
Ta mère Annette Jeandet née Chapuis
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cette lettre est datée du 5 avril 1842 sur un de ses rabats, mais un tampon visible semble montrer qu’elle est du 21 ou 27 avril 1842 et à la fin de sa lettre Abel Jeandet marque 26 avril 9h du matin. Cette lettre écrite de Paris est adressée à son frère Amédée élève en pharmacie 115 rue St Honoré paris.
Je suis très fâché, mon cher ami, de ne pas m’être trouvé hier chez moi lorsque tu es venu pour me voir , et comme on m’a dit que tu devais revenir aujourd’hui, je t’écris ce petit mot afin de t’épargner une course inutile, car tu serais encore exposé à ne pas me rencontrer. Je vais aujourd’hui à la séance générale de la société des orphelins. J’aurai bien désiré t’y conduire ; je ne sais si ma lettre d’invitation peut servir pour deux personnes, si tu voulais re risquerez te trouver rue du bac, 42 à 1h très précise nous verrions; Au moment où je t’écris , mon hôtel a été sur le point d’être le théâtre d’un événement tragique, on a été forcé de défoncer la porte du capitaine qui y habite et qui était sur le point de se brûler la cervelle.
Je t’embrasse en attendant le plaisir de se revoir, ton frère et ami.
Abel Jeandet
26 avril 9h du matin
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Sans la présence de ton frère à Paris, mon cher fils, je n’imaginerai guère quelle serait la nature de nos relations avec toi, au silence vraiment inexplicable que tu gardes avec nous. N’as tu pas craint quelques fois que nous n’y visions une preuve de ton indifférence, et que tu n’y perdisses à to tour quelque chose de notre affection ? les liens qui unissent entre eux les individus de notre espèce, même les pères aux enfants, ont besoin de réciprocité, à défaut de laquelle ils ne tardent pas à se relâcher, puis à se rompre. Nous n’oserions pas croire que ta conduite à notre égard fut encore l’effet de cette sainte colère dont tu t’es ému en février dernier, à l’occasion de certains cancans qui auraient été tenus on ne sait où, et dont en conséquence tu ne peux nous rendre responsables. Dans tous les cas on doit se guérir des mauvaises pulsions, et non les nourrir : la colère y tient le premier rang. c’est une des plus funestes maladies du coeur de l’homme dont il te faudra de bonne heure réprimer les atteintes, pour peu que tu aies du penchant à t’y livrer.
Comment vont tes études littéraires? à ton propre examen y fais tu quelques progrès ? je te l’ai dit, mais je ne pense pas pouvoir trop le répéter, c’est l’unique objet de mes continuelles inquiétudes. J’ai toujours peur qu’après quatre ou cinq années de pharmacie, noies ne soyons obligés d’y renoncer par l’impossibilité qu’il y aurait d’obtenir le grade de bachelier ès-lettres. Jusqu’à ce que nous ayons franchi cet obstacle je ne serais pas tranquille, et je regretterai que, conformément à mon avis, tu n’aies pas embrassé une autre profession. En mettant l’avenir au pis, il nous restera pourtant encore une ressource qui sera d’être à perpétuité, un pauvre garçon pharmacien, à moins que les examinateurs fatigués de ta persistance, et ayant pitié de tes cheveux gris, ne t’accordent, à ces conditions, ce qu’ils auront du refuser à ton incapacité.
Nous pouvons compter maintenant les jours qui vont nous tenir éloignés les uns des autres. La brièveté de la vie dont on se plaint si souvent ne me semble aller aujourd’hui qu’à pas de tortue, tant j’ai d’impatience de vous voir et de vous embrasser.
Adieu, mon cher ami, porte toi bien et ama me sicut te semper amabo, ton affectionné père
Jeandet
P.S. Fais savoir à M. Bernard que le mauvais état de M. son père s’est encore aggravé, et qu’il n’a pas eu la force de sortir de son lit depuis trois jours.
L’arrivée de cette lettre ne précédera que de fort peu de temps celle d’un paquet envoyé à ton adresse par l’intermédiaire d’un conducteur. Le paquet contient divers effets d’habillement pour ton frère et pour toi. Tu le porteras chez Abel où vous l’ouvrirez ensemble pour en faire le partage d’après les instructions de votre mère.
Je viens mon cher Amédée du bureau des diligences, le paquet que ton père t’annonce arrivera à Paris vendredi prochain 13. On le rendra à ton adresse franc de port, je l’ai payé à Chalon.
Dis à ton frère que son père attend avec impatience la continuation de sa lettre Tu voudras bien accuser réception de suite.
Adieu mon cher ami, je t’embrasse de tout mon coeur,
ta mère Anette Jeandet née Chapuis
Chalon le 11 mai 1842
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Cette lettre en date du 24 mai 1842 est écrite par Amédée Jeandet à ses parents
Paris le 24 mai 1842
Mon cher papa,
Cette fois c’est moi qui me charge de la correspondance, car après les durs reproches que tu m’a adressés dans ta lettre, je ne veux pas resté longtemps sans t’écrire, ni te laisser croire des choses qui ne sont pas. J’avoue que j’ai tardé trop longtemps à te répondre et que ma conduite à ce sujet n’a pas été exemplaire, mais je n’avais rien de particulier à apprendre et de plus j’ose dire que j’étais mécontent du silence que toi et maman aviez gardé à mon égard. Cependant si j’avais pu prévoir que ce retard d’écrit te mécontente à ce point, je n’aurai certainement pas attendu jusqu’à ce jour pour écrire malgré ma juste et sainte colère : car mon cher papa pour dire comme toi mais dans l’autre sens, sans la présence de mon frère à Paris, je ne sais qui m’aurait donné de vos nouvelles. Quoique dans ta lettre tu m’aies traité avec bien peu d’indulgence, tant pour ce qui concerne mes études , qu’à cause de ma négligence ; je n’en ai pas moins éprouvé un sensible plaisir lors de son arrivée, car je suis persuadé que lorsque tu traçais sur le papier ces lignes de reproches, tu étais certain que ton fils n’avait aucun des défauts que tu lui imputait. Je voudrais bien te répondre relativement à ce que tu me dis touchant mes études littéraires, mais ce sujet est si difficile à traiter, que je crois qu’il sera plus convenable d’attendre les vacances pour s’en expliquer. Cependant je me contenterai de te dire, qu’il est de toute impossibilité de travailler avec fruit en pharmacie, ainsi figure toi bien que ce n’est guère qu’après mes trois années de stage écoulées, que je pourrai m’occuper spécialement du baccalauréat es-lettres ; car alors je serai maître de mon temps et non aux ordres d’un publique ennuyeux et fatiguant.
Il faut convenir mon cher papa, que tu as bien peu de confiance en moi, et que tu me suppose bien peu de résolution et d’amour propre, pour croire qu’un simple obstacle, me fasse abandonner, après trois années d’un travail pénible et désagréable sous tous les rapports, une profession au moment même où elle commence à être moins aride, et ou elle offre quelques distractions. Mais, comme lorsque j’ai embrassé l’état de pharmacien, tu savais comme moi quelles étaient les difficultés que j’avais à vaincre. Il n’y a plus moyen de reculer.
J’ai reçu le paquet le même jour que ta lettre, et mon frère et moi nous avons été très contents, seulement nos gilets ne vont pas bien , surtout le mien qui est beaucoup trop large des épaules. Le pantalon est très gentil et je rends grâces à maman de son heureux choix, mais loin d’être vêtu convenablement, il va manquer encore une paire de botte. Jusqu’à présent je m’étais abstenu d’en parler, quoique l’époque à laquelle je devais en avoir est passée depuis longtemps ; car si j’ai bonne mémoire vous m’aviez promis de m’en faire faire une paire à 17 ans. J’espère que vous rendrez à ma prière, et que vous accorderez à votre jeune apothicaire ce qu’il demande.
Enfin le moment tant désiré approche, et dans deux mois je pourrai donc franchir le seuil de ma prison, et fuir cette officine où pendant vingt mois j’ai habité loin de vous ! que deux années sont longues à passer, et que l’heure à laquelle je vous ai vu pour la dernière fois me semble loin dans la nuit des temps. Mon frère et moi sommes d’avis que tu écrives à M. Bernard relativement aux vacances car comme il serait très possible que mes collègues allassent aussi dans leurs familles, je crois qu’il serait prudent de prévenir M. Bernard un mois à l’avance.
Lorsque le paquet est arrivé ici, l’époque à laquelle on a coutume d’écrire était si prochaine que nous avons pensé qu’il était inutile d’accuser de suite de la réception. Nous n’avons pas pu trouver l’épître de la femme de mon oncle, il paraît que maman a oublié de la placer dans le paquet. J’ai passé dimanche dernier une partie de la journée chez mon frère et le dernier dimanche de mai nous serons tout le jour ensemble.
Si je vous ai fait attendre, ma lettre, il faut en convenir qu’elle vaut à elle seule par sa longueur les deux ou trois missives que j’aurai pu vous écrire.
Adieu mon cher papa et ma chère maman, je vous embrasse de tout mon cœur et suis pour la vie votre fils.
Amédée Jeandet
Mon frère vous embrasse de tout son cœur.
P.S. Lorsque vous m ‘écrirez, n’oubliez pas je vous prie de me donner des nouvelles de la bonne mère Patin et de sa famille. Mes compliments à nos parents et connaissances. Je me suis réveillé ce matin avec un mal de gosier bien conditionné ( ?) accompagné d’un corisa qui paraît être assez violent. ???? les médicaments ne me manquent pas. Répondez je vous prie, bientôt à ma demande.
***
Verdun le 10 juin 1842
Nous ne comprenons plus bien, mon cher ami, à la conduite de ton frère, en ce qui regarde notre correspondance. Depuis le nous attendons de lui une lettre qui ne nous est point encore arrivée ce matin. Ces inexactitudes sont devenues si fréquentes cette année, que m’y voila accoutumé. Votre mère ne prend pas aussi facilement votre parti. Tous ces retards où elle ne veut voir que des causes plus ou moins fâcheuses lui font infiniment de mal ; aujourd’hui surtout que sa santé est loin d’être bonne. Ne sentirez vous donc jamais combien sont grandes, dans l’absence, les inquiétudes des parents à l’égard de leurs enfants ?
J’attendais la lettre dont je viens de te parler avant de te répondre, mais puisqu’elle ne vient pas, et qu’on ne sait plus quand elle viendra, il ne faut pas que tu en souffres, attendu que cela ne dépend aucunement de ton fait : je vais en conséquence te satisfaire.
Tu te feras faire une paire de bottes que tu auras soin de ménager pour l’avoir encore en bon état lorsque tu seras ici. Ton frère te fournira l’argent qui te sera nécessaire ainsi que pour les autres dépenses indispensables. Nous n’avons point oublié qu’il a été aussi question d’un habit, mais nous ne croyons pas que cela presse et nous nous en occuperons une autre fois. Je m’effraye à l’avance du long mémoire que vous allez m’apporter. Je crains fort qu’à l’exemple du bon capoutaine vous ne me mettiez dans le cas de manger mes fonds avec mes revenus.
Rien n’est si facile, au dire de ta mère, que de corriger la défectuosité ou la trop grande largeur de ton gilet. Il suffira de rétrécir le dos en faisant un pli à partir du milieu du collet jusqu’au bas du dos.
Tu remettras la lettre ci-incluses ton frère pour en faire l’usage qu’on lui a dit.
J’ai pensé, comme vous, que je devais écrire à M. Bernard un mois au moins avant l’arrivée des vacances, afin d’obtenir de lui que tu en vinsses passer une partie près de nous. C’est une affaire déjà convenue, et mes rapports avec lui dans ces derniers temps me permettent d’espérer qu’il s’y prêtera avec plaisir.
J’ai découvert encore bien des fautes de négligence dans ta dernière lettre. Que fais tu donc de tes dictionnaires et de tes grammaires ?
Après avoir été submergés deux fois en moins d’un mois, nous éprouvons à la suite une surchauffe qui ne laisse plus d’eau dans les rivières et qui brûle tout dans les champs. Adieu, mon ami, la clientèle m’appelle et la poste va partir, je finis en t’embrassant ainsi que ta mère de tout notre coeur.
Ton père et ami
Jeandet
P.S. pour ne pas vous rendre les inquiétudes que vous nous donnez si souvent, je dois vous dire que votre mère va mieux depuis ou jours.
***
La lettre ci-incluse que tu remettras à son adresse, mon cher Amédée, est destinée à obtenir de M. Bernard la permission de t’avoir près de nous pendant une partie des vacances prochaines. Si cela souffrait quelque difficulté, ce ne serait sans doute que pour le temps que je demande, et dont la durée serait d’un mois au moins. A cet égard , ton frère et toi ferez remarquer à M. Bernard qu’il y aura sur le temps huit jours de voyage, et que par conséquent tu ne seras en effet ici que trois semaines. Je n’ai pas oublié d’en parler moi même et j’espère bien que notre observation sera goûtée et que nous arriverons facilement à notre but.
Il ne faut pas, mon cher ami, que tu croies venir à Verdun pour y trouver des distractions, mais seulement du repos. C’est toujours le pays le plus mal et le plus insipide qu’il soit possible d’imaginer. Ta présence et celle de ton frère va le rendre momentanément pour nous plein de charme et de jouissance. Tu serais véritablement à plaindre si les mêmes moyens n’agissaient pas sur toi de la même manière.
Il est bien entendu que tu ne partiras qu’avec ton frère en compagnie aussi de Jeandet sur qui on ne comptait plus, mais qui revient enfin, lui pour ne plus nous quitter. Il est encore si loin l’avenir où nous serons là avec vous , que nous osons à peine y penser.
On a écrit l’autre jour à Abel. Vous ferez ensemble l’inventaire de tous les habits qui auront besoin d’être réparés, et tu les apporteras avec toi. Aies soin de ne mettre en voyage que ce qui ne craint ni la poussière ni la pluie.
Je désirerai bien que tu ???? en notre nom, auprès de ton oncle, tout ce qui pourrait le décider à venir passer ici quelques jours avec nous.
Adieu, mon ami, porte toi bien, embrasse ton frère pour nous, en attendant que nous puissions vous embrassez tous deux.
Ton affectueux père
Jeandet
Verdun le 16 juillet 1842
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Cette lettre d ‘Abel Jeandet à son frère Amédée est très difficile à lire, il en manque un petit bout et pour couronner le tout il parle en patois verdunois ou de Sâone et loire d’où tous les blancs dans cette lettre.
Verdun le 19 septembre 1842
Mon cher Amédée
Quoique ce soit à toi à nous écrire, et que nous attendions aujourd’hui une lettre, nous n’avons pas voulu laisser partir le Docteur Martin sans t’adresser par lui, de nos nouvelles. C’est donc moi qui me charge de ce soin, notre père t’ayant déjà écrit et maman étant occupée à tourner la broche à l’intention de M. Bert qui, n’ayant pu venir le jour où nous avions M. Martin, déjeune aujourd’hui chez nous. Rien de plus à te mander pour le présent comme écrivent les conscrits, cependant afin d’atteindre le but que je me suis proposé dans cette lettre, je vais te dire un mot sur chacun d’entre nous en particulier, après quoi je te parlerai un peu de la pluie et du beau temps. ………….ont en conversations provinciales, mais qui a pour nous un intérêt que je nommerais excentrique, afin de me servir d’une expression heureuse dont les feuilletonistes et les auteurs des premières …… enrichissent chaque jour notre langue si pauvre, disent-ils. Les pauvres gens !
Notre papa qui t’avait annoncé sa guérison souffre comme par le passé, il y a cependant des intermittences assez marquées pour faire espérer que l’anti-périodique par excellence (sulfate de quinine) réussira. C’est presque notre seule ancre de salut . Maman se porte toujours à peu près de même.
Pour quand à l’égard de moi je me porte assez bien je souhaite qu’il en soit de même pour la tienne.
Je viens aux observations météorologiques. Depuis le lendemain de ton départ jusqu’à hier …..inclusivement le temps a été délicieux de beauté. Le ciel de l’Italie planait sur le sol verdunois, le Doubs avait repris la teinte et l’aspect d’un lac aux eaux bleues et le bras artificiel qui passe sous notre pont était plus sec que la rue honoré. Ma dépu le jor d’hier comme i toi di le biau … ai quemancé………. Heureusement que l’an quarante est passé, cependant nous n’osons plus nous moquer. M. Martin ayant un peu de place dans la malle , je le charge d’un petit paquet que tu voudras bien joindre aux effets que tu as déjà à moi. Je ne pense pas t’écrire avant mon départ qui aura lieu certainement … avant, pendant ou après la foire de Verdun. Tu peux être assuré que je ne manquerai pas d’arriver à ….. que je te fixe.
Quant à toi mon cher Amédée, si tu ne nous a pas écrit avant de revoir cette lettre ne manque pas de le faire et apprends nous si, tout en regrettant le coin du foyer de famille, tu as repris tes travaux et tes habitudes ordinaires.
Adieu nous t’embrassons tous de cœur, et nous te prions de croire à notre affection à tous et en particulier à celle d ton frère et ami.
Abel Jeandet
P.S. on ne comprend rien ici au silence de ton patron …….. Sa mère en gémit, ses volailles maigrissent. Il est inutile de te dire que ce post scriptum t’est exclusivement destiné.
***
Nous te remercions, mon cher enfant, de la promptitude que tu as mise à nous écrire. Quoique ta lettre nous ait péniblement affectés à cause des fatigues que tu as éprouvées dans ce dernier voyage. Nous espérons qu’il ne t’en reste plus rien aujourd’hui et que ta santé est tout à fait bonne.
Je me félicite encore du temps que nous venons de passer ensemble, parce qu’il m’a fourni l’occasion de te mieux apprécier. A ma très grande satisfaction j’ai reconnu que tu avais déjà beaucoup gagné, et que je ne devais plus désespérer de ton avenir, pourvu que tu comprennes bien la nécessité du travail et une forte résolution d’arriver au but que nous nous proposons. J’ai été surtout profondément touché de la tendre amitié que tu as pour ton frère qui lui même t’aime sincèrement. C’est un bien douce consolation pour ta mère et pour moi que de vous savoir à Paris vivant ensemble d’un attachement que l’âge et l’expérience ne peut qu’augmenter.
Depuis ton départ nous jouissons d’un temps magnifique. J’en ai profité pour des courses que j’ai eu à faire. Il y aura bien du mal et un changement fort extraordinaire si comme l’an dernier, l’eau vient nous chasse de nos ?????, à la fin de ce mois.
Nos santés ne sont pas précisément mauvaises, mais il y a toujours quelque chose qui cloche, comme chez les vieux. Depuis trois jours, je veux dire trois nuits, j’ai peu senti mon bras. Serait-ce la fin de cette cruelle maladie qui m’a si fort et si longtemps tourmenté ainsi que tu en as été le témoin.
Ton frère ne partira guère que vers la fin du mois.
Nous avons retrouvé le formulaire manuscrit que tu as oublié.
Ecris nous quelques mots par M. Bernard à qui tu diras, au nom de M. le Docteur Martin, de prépare son arrivée ici, s’il veut l’avoir pour compagnon de voyage à son retour à Paris.
Adieu, mon ami, porte toi bien et ama nos sicut te semper amabimus
Ton affectueux père
Jeandet
Verdun le 7 octobre 1842
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Verdun le 28 octobre 1842
Mon cher ami ta lettre nous a beaucoup peiné quoique nous pensions qu’il y a de l’exagération dans tes plaintes ; cependant si tu ne dois pas coucher à la pharmacie, je ne comprends pas pourquoi tu as accepté ce service sans faire aucune observation. Ce surcroit de travail vient donc de ta faute. Du reste il faut bien que tu essayes tous les désagréments de la profession que tu embrasses ; quand au lit placard il n’a pas été fait pour toi et il est probable que tous les élèves qui t’ont précédé y ont couché et même M. Bernard.
Tu n’as ni couverture ni oreiller, demande ces deux choses à Mle Lanois c’est elle qui est chargée de ces petits détails puisque la dame ne s’en mêle pas. Et si on te refusait les objets nécessaires afin que tu puisses dormir doucement et chaudement, c’est alors que j’écrirais à M. Bernard. D’ici la je n’ai rien à réclamer. Jusqu’à aujourd’hui tu n’as rien demandé, pourquoi donc te plaindre ; sans avoir de cause plausible tu sais mon cher Amédée que nous ne pouvons pas faire changer le règlement de la maison, c’est à toi mon bon ami à demander tout ce qui t’est utile avec les politesses d’usage et je suis persuadée qu’on y adhèrera quand elles seront justes et raisonnables. Tu dis aussi que tu es fatigué, je t’engage à t’assoir toutes les fois que tu seras trop las. Ton frère qui te remettra cette lettre te fera sentir qu’il serait inconvenant d’écrire à M. Bernard quand on a pas de motif ???? à faire valoir . Je t’envoie trois cols si tu les trouves bien tu me le diras et je t’en ferai autant. Adieu mon cher ami je t’embrasse de tout mon coeur
ta mère Annette Jeandet
Nous avions tellement pris au sérieux ta dernière lettre, mon cher Amédée, et nous en étions si vivement affligés, que nous avions d’abord arrêté qu’on en écrirait à M. Bernard. C’était ta mère qui devait s’en charger, afin que nos observations perdissent, sous sa plume, l’amertume et la sévérité qu’elle auraient inévitablement reçues à la mienne . En y réfléchissant mieux, nous avons renoncé à ce projet qui, quoique conduit avec toute la réserve possible, n’aurait peut être pas laissé que d’irriter la susceptibilité d’une personne qui croit admirable l’administration de sa maison. Nous aurions pourtant recours à ce moyen si, contre nos espérances, les réclamations que nous te pressons d’adresser à ce sujet, restaient inutiles et sans résultat.
Nous te conseillons aussi d’abandonner à qui il appartiendra, le service qui n’est pas rigoureusement de ta compétence, et de ne prendre qu’une part raisonnable dans celui qui te regarde. es-tu las ? te tient-t-on trop longtemps debout, repose toi et assieds toi au besoin et que t’importe à toi la froideur ou le sang froid imperturbable de ton collaborateur au laboratoire. Répons y en laissant brûler sans t’émouvoir, les sirops, évaporer en totalité les alcoolats, charbonner les extraits. Il faut apprendre au naître par là que si la boutique exige les bras de six individus, et qu’il n’a que ceux de trois, une foule de choses doivent être en souffrance ou périr. Qu’estce à dire ? seriez vous à ses yeux comme sont aux colons, les malheureux esclaves, mécaniques humaines, dont on cherche à tirer le plus grand profit, sans crainte de mettre leur existence en péril ? pour parer à cela je n’ai à te recommander que l’emploi d’une volonté inerte et d’une impassibilité à toute épreuve. Je charge spécialement ton frère de t’aider de ses conseils à l’occasion de la conduite que je te trace ici.
Adieu, mon cher enfant, porte toi bien, ton père et ton plus dévoué ami
Jeandet
Verdun le 28 oct 1842
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25 novembre 1842
Oubliant, mon cher Amédée, que je te devais ma soirée, je l’ai engagée hier à Madame Loss qui m’a invité à dîner pour aujourd’hui. J’aurai pu à la rigueur au lieu de t’écrire , adresser un mot ce matin à cette dame pour la remercier de son invitation , mais craignant que deux refus en si peu de temps ne me fissent accuser de mauvais vouloir, j’ai préféré l’accepter. Cela t’épargnera donc ce soir et c’est dans ce but que je t’écris, la peine de venir te gauger dans mon quartier ! Si tu penses et si tu veux venir demain pour compenser la perte de cette soirée, tu en es le maître. Seulement n’arrive pas trop tard. Je tacherai toujours d’aller te voir dimanche , à moins que le temps soit très mauvais ou très beau.
Je t’embrasse , ton frère et ami
Abel Jeandet
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Date de dernière mise à jour : 17/12/2015
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